• Divergences et crédibilité des récits évangéliques

    Je vous propose un article qui peut en indisposer certains. Je le dis par expérience. Cependant, je trouve sain qu'on puisse réfléchir sur les  fondamentaux de notre foi. A l'opposé de ce que certains pourraient penser, notre foi ne s'en trouvera que renforcée. Un des Pères de l'Eglise Jean Chrysostome a bien synthétisé ce point de vue.

    « Je vous réponds que ces différences sont précisément la plus forte preuve de la véracité des évangélistes. Si l’accord de leur récit avait été minutieux jusque dans la circonstance, jusque dans le lieu, jusque dans les mots mêmes, aucun de leurs ennemis n’aurait cru que c’était sans s’être réunis, ni sans une sorte de convention d’homme à homme qu’ils ont écrit ce qu’ils ont écrit, ni qu’un tel accord serait le fait de la sincérité. Mais précisément cette différence qui se montre dans les détails empêche de soupçonner ces écrivains et témoigne clairement en leur faveur ». Jean Chrysostome,Homélie introductive sur Matthieu

    Ces divergences, loin de mettre en doute la crédibilité des récits évangéliques , sont la meilleure preuve de leur véracité.

    Divergences et crédibilité des récits évangéliques

    Site : Didascale

    Auteur: David VINCENT

    Pour compléter mon article sur l’inerrance biblique, j’aimerais montrer en quoi la remise en cause de l’inerrance biblique, loin de porter atteinte à la crédibilité de la Bible, permet au contraire de renforcer cette crédibilité face à certaines objections de la critique contemporaine. Pour cela, je prendrai l’exemple des récits évangéliques.

     

    Théorie traditionnelle et objections contemporaines

    Les différents auteurs de l’Antiquité (Papias, Clément d’Alexandrie, Irénée de Lyon, Tertullien, etc.) nous ont transmis l’information selon laquelle les évangiles provenaient de quatre personnes différentes. Matthieu avait écrit son évangile en « langue hébraïque », puis quelqu’un l’a traduit en grec. Marc, le traducteur de Pierre, a mis par écrit l’évangile que Pierre prêchait en araméen. Luc a fait un travail d’historien et a collecté différents témoignages pour composer son évangile. Enfin, Jean a, à la fin de sa vie, rassemblé ses souvenirs pour faire composer l’évangile qui porte son nom, afin de compléter les trois évangiles précédents.

    Cette théorie traditionnelle a été contestée par certains savants contemporains qui estiment que les auteurs des trois premiers évangiles se seraient copiés les uns les autres, même si ces savants ne sont pas exactement d’accord sur l’ordre d’influence. Dans ce bref article, je montrerai justement pourquoi cela me paraît improbable.

    Pour ce faire, je prendrai deux exemples tirés des trois évangiles synoptiques (Matthieu, Marc et Luc). Le premier exemple est une comparaison entre Matthieu et Luc, tandis que le second permettra de comparer Matthieu et Marc. Les divergences irréconciliables entre les deux récits apparaîtront en rouge.

     

    Les récits évangéliques et leurs divergences

    Premier exemple : La rencontre de Jésus et du centenier à Capernaüm

    Evangile selon Matthieu 8 : 5-13

    Evangile selon Luc 7 : 1-10

    « Comme Jésus entrait dans Capernaüm, un centenier l’aborda,   le priant et disant : Seigneur, mon serviteur est couché à la maison, atteint de paralysie et souffrant beaucoup. Jésus lui dit : J’irai, et je le guérirai. Le centenier répondit : Seigneur, je ne suis pas digne que tu entres sous mon toit ; mais dis seulement un mot, et mon serviteur sera guéri. Car, moi qui suis soumis à des supérieurs, j’ai des soldats sous mes ordres ; et je dis à l’un: Va ! et il va ; à l’autre: Viens ! et il vient ; et à mon serviteur : Fais cela ! et il le fait. Après l’avoir entendu, Jésus fut dans l’étonnement, et il dit à ceux qui le suivaient : Je vous le dis en vérité, même en Israël je n’ai pas trouvé une aussi grande foi. Or, je vous déclare que plusieurs viendront de l’orient et de l’occident, et seront à table avec Abraham, Isaac et Jacob, dans le royaume des cieux. Mais les fils du royaume seront jetés dans les ténèbres du dehors, où il y aura des pleurs et des grincements de dents. Puis Jésus dit au centenier :Va, qu’il te soit fait selon ta foi. Et à l’heure même le serviteur fut guéri. »

    « Après avoir achevé tous ces discours devant le peuple qui l’écoutait, Jésus entra dans Capernaüm. Un centenier avait un serviteur auquel il était très attaché, et qui se trouvait malade, sur le point de mourir. Ayant entendu parler de Jésus, il lui envoya quelques anciens des Juifs, pour le prier de venir guérir son serviteur. Ils arrivèrent auprès de Jésus, et lui adressèrent d’instantes supplications, disant : Il mérite que tu lui accordes cela ; car il aime notre nation, et c’est lui qui a bâti notre synagogue. Jésus, étant allé avec eux, n’était guère éloigné de la maison, quand le centenier envoya des amis pour lui dire :Seigneur, ne prends pas tant de peine ; car je ne suis pas digne que tu entres sous mon toit. C’est aussi pour cela que je ne me suis pas cru digne d’aller en personne vers toi. Mais dis un mot, et mon serviteur sera guéri. Car, moi qui suis soumis à des supérieurs, j’ai des soldats sous mes ordres ; et je dis à l’un : Va ! et il va ; à l’autre : Viens ! et il vient ; et à mon serviteur : Fais cela ! et il le fait. Lorsque Jésus entendit ces paroles, il admira le centenier, et, se tournant vers la foule qui le suivait, il dit : Je vous le dis, même en Israël je n’ai pas trouvé une aussi grande foi.De retour à la maison, les gens envoyés par le centenier trouvèrent guéri le serviteur qui avait été malade. »

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    Dans le récit consigné par Matthieu, il est très clairement dit que le centenier aborde directement Jésus et l’évangéliste nous rapporte ensuite le dialogue entre Jésus et le centenier. Dans son évangile, Luc précise au contraire que le centenier n’ose pas venir voir Jésus, mais qu’il envoie des serviteurs, car lui-même se sent indigne de rencontrer Jésus.

    Deuxième exemple : La malédiction du figuier

    Evangile selon Matthieu 21 : 10-20

    Evangile selon Marc 11 : 13-22

    « Lorsqu’il entra dans Jérusalem, toute la ville fut émue, et l’on disait : Qui est celui-ci ? La foule répondait : C’est Jésus, le prophète, de Nazareth en Galilée. Jésus entra dans le temple de Dieu.Il chassa tous ceux qui vendaient et qui achetaient dans le temple ; il renversa les tables des changeurs, et les sièges des vendeurs de pigeons. Et il leur dit : Il est écrit: Ma maison sera appelée une maison de prière. Mais vous, vous en faites une caverne de voleurs. Des aveugles et des boiteux s’approchèrent de lui dans le temple. Et il les guérit. Mais les principaux sacrificateurs et les scribes furent indignés, à la vue des choses merveilleuses qu’il avait faites, et des enfants qui criaient dans le temple : Hosanna au Fils de David ! Ils lui dirent : Entends-tu ce qu’ils disent ? Oui, leur répondit Jésus. N’avez-vous jamais lu ces paroles : Tu as tiré des louanges de la bouche des enfants et de ceux qui sont à la mamelle ? Et, les ayant laissés, il sortit de la ville pour aller à Béthanie, où il passa la nuit. Le matin, en retournant à la ville, il eut faim. Voyant un figuier sur le chemin, il s’en approcha ; mais il n’y trouva que des feuilles, et il lui dit :Que jamais fruit ne naisse de toi ! Et à l’instant le figuier sécha. Les disciples, qui virent cela, furent étonnés, et dirent : Comment ce figuier est-il devenu sec en un instant ? »

    « Apercevant de loin un figuier qui avait des feuilles, il alla voir s’il y trouverait quelque chose ; et, s’en étant approché, il ne trouva que des feuilles, car ce n’était pas la saison des figues. Prenant alors la parole, il lui dit : Que jamais personne ne mange de ton fruit ! Et ses disciples l’entendirent. Ils arrivèrent à Jérusalem, et Jésus entra dans le temple. Il se mit à chasser ceux qui vendaient et qui achetaient dans le temple ; il renversa les tables des changeurs, et les sièges des vendeurs de pigeons ; et il ne laissait personne transporter aucun objet à travers le temple. Et il enseignait et disait: N’est-il pas écrit : Ma maison sera appelée une maison de prière pour toutes les nations ? Mais vous, vous en avez fait une caverne de voleurs. Les principaux sacrificateurs et les scribes, l’ayant entendu, cherchèrent les moyens de le faire périr ; car ils le craignaient, parce que toute la foule était frappée de sa doctrine.   Quand le soir fut venu, Jésus sortit de la ville.   Le matin, en passant, les disciples virent le figuier séché jusqu’aux racines. Pierre, se rappelant ce qui s’était passé, dit à Jésus : Rabbi, regarde, le figuier que tu as maudit a séché. Jésus prit la parole, et leur dit : Ayez foi en Dieu. »

       

    Dans le récit de Matthieu, Jésus chasse les marchands du Temple, puis rencontre le figuier et le maudit. Celui-ci sèche immédiatement et Matthieu insiste d’ailleurs sur ce détail «Et à l’instant le figuier sécha. Les disciples, qui virent cela, furent étonnés, et dirent : Comment ce figuier est-il devenu sec en un instant ? ». Les disciples remarquent cette réalisation instantanée et s’en étonnent.

    En revanche, dans le récit rapporté par Marc, l’épisode se déroule clairement en deux temps. Jésus rencontre d’abord le figuier, qu’il maudit, puis Jésus chasse les marchands du Temple, et c’est seulement le lendemain, en sortant de Jérusalem, que les disciples découvrent que le figuier a séché. A l’inverse de Matthieu, Marc insiste au contraire sur la séparation temporelle : « Pierre, se rappelant ce qui s’était passé ».

     

    Le chrétien et les divergences

    La posture fondamentaliste

    Face à ces divergences, deux attitudes sont possibles. Les fondamentalistes, tenant de l’inerrance biblique, tenteront de trouver toutes sortes de « solutions » pour expliquer ces « divergences » qui ne seraient qu’ « apparentes ». Mais leurs explications, complètement « tirées par les cheveux », ne convaincront qu’eux-mêmes. Bien loin de défendre la crédibilité du texte biblique, ces explications ne contribueront qu’à les ridiculiser auprès de toute personne faisant preuve d’un minimum d’attention au texte biblique et par voie de conséquence, ce qui est plus grave, ces explications risquent de décrédibiliser le texte biblique lui-même.

    L’Eglise ancienne et l’inerrance biblique

    A l’inverse, une deuxième attitude consiste au contraire à admettre que le texte biblique contient effectivement des divergences, et même, n’ayons pas peur du mot, des contradictions factuelles, mais que cela ne pose aucun problème pour la foi chrétienne. Cette position, beaucoup plus équilibrée et réaliste, se retrouve chez les premiers chrétiens, citons par exemple Tertullien (fin du IIe siècle) et Jean Chrysostome (IVe siècle) :

    « Notre foi, c’est parmi les apôtres Jean et Matthieu, qui nous la communiquent, parmi les personnages apostoliques, Luc et Marc, qui nous la renouvellent, ils sont partis des mêmes règles de foi en ce qui concerne le Dieu unique, le Créateur et son Christ, né de la Vierge, accomplissement de la Loi et des prophètes. Tant pis si il y  a des variantes dans la disposition de leurs récits, pourvu que sur le point capital de la foi, il y ait accord- un accord qu’on ne trouve pas avec Marcion ! » Tertullien, Contre Marcion, IV, 2, 2-3

    Tertullien reconnaît explicitement qu’il y a entre les évangiles des différences factuelles. Loin de les nier, il les accepte puisque celles-ci  ne changent rien au contenu de la Foi. Par ailleurs, dans ce même ouvrage, un peu plus loin (Contre Marcion, IV, 19,10), Tertullien écrit : « Mais aussi c’est un fait bien établi qu’alors, en Judée, sous Auguste, un recensement a été conduit par Sentius Saturninus : ils auraient pu enquêter dans ces actes sur son lignage ».  En écrivant cela, il ne peut pas ignorer qu’il contredit les propos de Luc qui affirme au contraire que le gouverneur qui a mené le recensement était Quirinus (Luc 2 :2). Tertullien ne pense donc pas que les informations historiques des évangiles soient infaillibles et il n’hésite pas à les contredire lorsqu’il juge ses sources plus fiables. Pour l’anecdote, notons que nos connaissances historiques actuelles confirment plutôt les propos de Tertullien.

     Encore plus près de notre sujet, Jean Chrysostome s’adresse directement à ceux qui objectaient que les divergences étaient nuisibles à la vérité de l’Evangile :

    « Je vous réponds que ces différences sont précisément la plus forte preuve de la véracité des évangélistes. Si l’accord de leur récit avait été minutieux jusque dans la circonstance, jusque dans le lieu, jusque dans les mots mêmes, aucun de leurs ennemis n’aurait cru que c’était sans s’être réunis, ni sans une sorte de convention d’homme à homme qu’ils ont écrit ce qu’ils ont écrit, ni qu’un tel accord serait le fait de la sincérité. Mais précisément cette différence qui se montre dans les détails empêche de soupçonner ces écrivains et témoigne clairement en leur faveur ». Jean Chrysostome,Homélie introductive sur Matthieu

     

    Divergence des récits et crédibilité des évangiles

    Cet argument de Chrysostome me semble particulièrement pertinent. Les divergences que nous avons soulevées montrent bien l’indépendance des différents évangiles et confirment donc l’opinion traditionnelle de l’Eglise contre les théories modernes que j’ai évoquées en début d’article.

    Pour terminer, je vous propose une petite histoire qui illustre bien le rapport entre les différents évangiles. Imaginons trois personnes ayant passé leurs vacances ensemble et à qui on demande, quelques mois plus tard, un compte rendu. Il ne fait aucun doute que si la trame générale sera la même, les récits de ces personnes divergeront dans les détails et peut-être même se contrediront sur certains points. Ainsi, une des personnes se souviendra que la sortie à la piscine était le jeudi, tandis que l’autre la placera un mardi.

    C’est exactement de cette façon que nous devons aborder les quatre récits évangéliques.

     

    Conclusion

    Pour conclure, je dirai que plutôt que de tordre les textes bibliques à l’aide de raisonnements qui ne font que ridiculiser ceux qui les tiennent, il vaut mieux admettre l’existence de certaines divergences, et même de contradictions factuelles, entre les textes.

    Bien loin de remettre en cause la fiabilité des différents récits, ils en confirment au contraire l’authenticité. En effet, les chrétiens d’autrefois, qui ont toujours remarqué ces divergences, n’ont pas cherché à les corriger et ont préféré conserver le texte tel qu’il leur avait été transmis.

    Par ailleurs, dans le cas des évangiles, ces divergences prouvent l’indépendance de chaque récit. Les évangiles ne résultent pas d’une source commune qui aurait été retravaillée tardivement, mais ils constituent bien quatre témoignages indépendants. Leur concordance générale atteste donc de la fiabilité des faits qu’ils nous rapportent.

     

    Source: http://didascale.com/divergences-et-credibilite-des-recits-evangeliques/

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  • Commentaires

    1
    Jacquy Mengal
    Mardi 9 Décembre 2014 à 09:22

    Article intéressant. Le problème concernant le nom du gouverneur qui effectua le recensement sous Auguste est interpellant (Quirinus ou Sentius Saturninus ?). Salutations.

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